« You can tell a lot about a woman's mood just by her hands. For example if she's holding a gun she's probably angry. »
Le gamin boude sur le siège arrière, les bras croisés, et le nez froncé, sa marque de fabrique quand quelque chose ne lui plaît pas.
« Qu'est-ce qu'il y a encore, Callum ? » Papa McManus est agacé, et ça se voit à la manière dont ses mains se crispent sur le volant, alors qu'il jette un regard noir à son fils au travers du rétroviseur.
« Rien. » Une réponse brève et sèche qui ne convient en rien à Liam, qui se tend un peu plus sur son siège, alors que sa femme lui caresse le bras afin de le calmer un peu. Il a toujours eu tendance à s'emporter pour un rien, et ça Niamh le sait très bien, et de voir que leur fils a hérité de ce même trait de caractère, l'a toujours faite sourire.
« Callum, dis-moi ce qu'il ne va pas pour l'amour de Dieu ! » Le petit brun tout renfrogné, finit par détacher les yeux de la vitre de la voiture, et du haut de ses dix ans défie du regard son père dans le petit miroir.
« Je voulais rester chez mamie ! Elle a besoin d'aide avec les chats. » Il boude toujours, parce que sa grand-mère c'est un peu tout sa vie. Il adore passer ses journées chez elle, écouter ses histoires de hippies, l'aider avec les animaux qu'elle recueille et apprendre à parler le gaélique avec elle. En bref chez elle il se sent utile. On ne l'insulte pas parce qu'il est gros, ou qu'il porte des lunettes. On ne lui rappelle pas sans cesse qu'il n'est pas si bon que ça à l'école. Chez elle, c'est un peu son petit paradis à lui. Et si ça ne tenait qu'à lui, il vivrait avec elle, plutôt que chez ses propres parents. Même avec ses cousins il a l'impression d'être un extra-terrestre.
« Chéri, tu pourras retourner chez mamie ce weekend. Et ne t'inquiètes pas pour ses chats, elle va très bien pouvoir s'en occuper toute seule. » Le sourire chaleureux de sa mère, déride un peu le jeune Callum. Elle a toujours été tellement douce avec ses deux hommes, qu'aucun d'eux ne peut lui résister, et elle le sait. Tout comme elle sait que pour Cal la vie n'est pas toujours facile à l'école, et qu'il a besoin de ses moments d'évasion chez sa grand-mère. Elle sait que son fils ne pense pas de la même manière que ses camarades, qu'il se préoccupe de choses qui dépassent la plus part de ses amis, mais elle sait aussi qu'un jour il trouvera sa place.
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La tête entre ses mains, Callum cherche ses mots. Une chose étrange venant de sa part, lui qui a toujours mille choses à dire, ou même à hurler. Mais là, cette boule coincée dans sa gorge l'empêche de sortir le moindre son.
« Ne t'inquiètes pas Callum. » Sa voix est étrangement douce, presque semblable à celle qu'il a l'habitude d'entendre venant de sa mère. Miren a toujours été une femme d'une force indomptable aux yeux de Callum, le genre de femme que rien ne pourra jamais ébranler. Et de la voir là, allongée sur ce lit d'hôpital, acceptant ce qui lui arrive, ça le frappe en plein cœur. Comme si on l'empaler avec une lance et qu'on lui arrachait le cœur.
« Comment tu peux me demander ça mamie ? » Elle lui sourit tendrement, alors que dans ses yeux à lui on ne peut voir qu'inquiétude, voire même l'ombre de quelques larmes. Elle pose une main tremblante sur son épaule, ne perdant pas une seule seconde son sourire.
« Tu te rappelles de l'histoire que je t'avais racontée sur la manifestation de New York en 37 ? Callum hoche de la tête positivement, même si elle lui a conté mille histoires, celle-ci l'a particulièrement marquée. Et il se souvient du moindre mot qu'elle a prononcé à ce sujet.
Et bien, pense à ce cancer, comme s'il s'agissait de ses fascistes de flics ! Là, il retrouve un peu plus la grand-mère qu'il admire plus que tout. Pleine de force et d'envie de se battre. Celle qui à l'époque a parcouru les rues de la capitale seins nus, en brandissant une pancarte.
On pensait aussi qu'on ne pourrait pas sortir vivants de cette ruelle, et pourtant... on y est arrivés ! Alors c'est pas quelques cellules qui font n'importe quoi qui auront ma peau, ça tu peux en être sûr ! » Son sourire se joint à celui de la vieille dame, après tout, elle en a vu tellement au cours de sa vie qu'elle a sûrement raison. Ce n'est pas une petite tumeur qui arrivera à la terrasser. Et au moment où il enlace sa grand-mère, Callum prend la décision la plus difficile qu'il ait jamais fait dans sa courte vie : il ne quittera pas la ville pour aller étudier dans une prestigieuse université. Il préfère rester là, à ses cotés pour l'aider et la soutenir, parce qu'il sait qu'aussi forte qu'elle soit, elle a besoin de lui à ses cotés. Il est un peu la dernière chose qu'il lui reste, la seule personne de toute la famille qui la comprenne réellement, et ne vient pas squatter son salon histoire de se faire bien voir pour le jour où elle fera son testament.
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C'est franchement un jour que Callum aurait préféré ne jamais voir arriver. Il sait que ça allait arriver. Il l'avait vu venir, mais ça reste toujours quelque chose de difficile à avaler. Merde, jamais mettre une cravate ne lui a paru aussi difficile.
« Callum, tu es prêt ? Papa nous attend déjà dehors. » Le visage de sa mère passe à peine à travers l'embrasure de la porte, elle a cet air grave de circonstance, qui soulève l'estomac de Cal lorsqu'il la regarde.
« Oui, j'arrive tout de suite, pars devant. » Il baisse les yeux, se concentra à nouveau sur cette foutue cravate, qu'il n'arrive pas à dompter. Il faut dire que l'état de ses mains ne l'aident pas. Il a travaillé durant toutes ses vacances pour retaper la maison de sa grand-mère. Cette maison qu'il aime tant, et qui tient tellement à sa mamie. Tenait. Sa gorge se serre à nouveau, sa vision se trouble, et il sent les mains rassurantes de sa mère se saisir de sa cravate afin de l'aider à la nouer.
« Je sais que c'est dur pour toi Callum. Plus que pour quiconque, mais tu verras avec le temps ça ira mieux. » Elle dépose un doux baiser sur son front, une fois qu'elle a terminé le nœud de la cravate de son fils. Et elle lui laisse le temps de se reprendre tandis qu'elle sort de la chambre. Perdre Miren s'est un sale coup pour Cal, alors qu'il pensait qu'elle allait mieux, la tornade a tout balayé sur sa route. Il a détruit sa maison, et avec elle le peu d'envie de se battre qu'il restait à la vieille femme. Callum fera un discours poignant sur Miren, cette grande femme qui a tant vécu, mais jamais il ne mentionnera le fait qu'elle a baissé les bras, malgré qu'il le pense tellement fort. Au lieu de ça, il se donnera deux fois plus afin d'aider à remettre la ville sur pieds, comme il le peut, à sa petite échelle. Mais au fond il a l'impression que c'est ce que Miren aurait voulu qu'il fasse.
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« Sérieusement Callum, tu crois vraiment qu’on va accepter ça ? » Toute la petite famille McManus est assise autour de la table de la cuisine. L’ambiance est tendue, et la conversation se déroule entre père et fils, la mère se tenant légèrement en retrait pour le moment.
« C’est le choix de mamie ! » Elle connaît ses hommes, elle sait qu’intervenir maintenant ne sert à rien. Ils sont encore dans leur phase d’énervement et ne l’écouteront pas.
« Elle ne voyait en toi que sa propre image Cal, rien à voir avec quelque chose de sérieux ! » Elle va les laisser se crier dessus de plus en plus fort, jusqu’à ce qu’ils n’aient plus rien d’intelligent ou de constructif à se hurler contre, puis elle entrera dans le jeu.
« Papa, c’est ce qu’elle voulait ! Elle m’a légué sa maison et tout le reste parce que je suis le seul de la famille qui partage ses valeurs ! » Elle observe tour à tour son mari, puis son fils, comme si elle était face à un match de tennis. Mais malheureusement pour elle ce petit manège est bien moins intéressant. La femme à la longue chevelure de feu croise les bras sur sa poitrine dans un soupire.
« Tu as fini en prison la dernière fois que tu as voulu défendre tes valeurs ! » Callum cogne du poing sur la table, se rappelant ce petit détail. Il a à peine passé 2h en prison pour avoir manifesté et son père n’arrête pas de le lui ressortir à chaque fois.
« Tu peux dire ce que tu veux, en attendant les papiers sont légaux, elle m’a tout légué à moi. » Niamh, la mère, sent que cette histoire est en train de partir en cacahuète, alors elle décide d’enfin intervenir avant que leurs mots ne dépassent leurs pensées.
« Maintenant ça suffit. Liam, ta mère a légué ce qu’elle possédait à ton fils parce qu’elle lui faisait confiance. Tu sais très bien qu’ils ont toujours partagé les mêmes idéaux. Et même si tu ne les comprends pas tout à fait, tu ne peux pas nier qu’ils étaient proches. Bien plus proches que ce que tu as pu l’être toi-même avec elle. » Sa voix est douce et délicate. Elle sait comment parler à son mari, et même comment agir pour l’amadouer, comme avec sa main qui vient caresser la sienne tendrement.
« Et puisque Callum est majeur, je pense qu’il est temps qu’il vole de ses propres ailes. » Cal regarde sa mère, soulagé de la voir de son coté. D’autant plus soulagé de voir que son père se détend, et semble prendre en considération ce qu’elle vient de lui dire.
« Tu as raison... Il est résigné, ça s’entend dans le son de sa voix. Mais son regard crie qu’il n’en a pas encore fini pour autant.
Mais il devra faire ses preuves d’abord. Nous aurons la main mise sur son compte et si dans six mois il n’aura fait aucun écart, il aura accès au tout. » Callum est sur le point de protester, de crier qu’il n’est plus un bébé, mais sa mère le coupe en pleine inspiration d’un geste de la main délicat.
« Très bien, ça me semble être un bon compromis. Tu vivras donc dans la maison de ta grand-mère pendant six mois et tu recevras l’équivalent d'un salaire de stagiaire vétérinaire par mois. Et si dans six mois tu n’as pas refait de frasques dont tu as le secret et que tu as réussi à te gérer, tu pourras faire ce que tu veux du reste de l’argent. » C’est fou comme le simple fait que ce soit sa mère qui lui annonce les choses, rendent les choses tout de suite plus faciles à accepter. C’est ça la magie d’une maman. Callum finalement est plutôt satisfait de tout ça, c’est la première fois que quelque chose d'intéressant lui arrive. Elle est bien loin sa vie de petit gros rejeté parce qu’il avait des idées bizarres. Aujourd’hui il est à l’université, il est actif au sein de Greenpeace et surtout il fait tomber toutes les fille. Bon ok, pas toutes, mais il a du potentiel et s’en sort pas trop mal.