If there's a future, we want it now
Feels like I'm waking from the dead And everyone's been waitin' on me 'Least now I'll never have to wonder What it's like to sleep a year away But were we indestructible ? I thought that we could brave it all I never thought that what would take me out Was hiding down below.
"Ma petite princesse, j'ai quelque chose de très important à te dire, alors, je veux que tu m'écoutes attentivement, d'accord ?". Chrissy a six ans. Ce soir là, son papa est entré dans sa chambre, le visage fermé, le regard grave.
"Ta maman et moi allons nous séparer...". Elle ne comprend pas vraiment. Se séparer ? Qu'est-ce que ça veut dire ?
"Je vais vivre dans une autre maison et toi, tu vas restée ici avec maman... mais tu pourras venir me voir quand tu veux... T'es la petite princesse à papa, tu le sais bien !". Il lui caresse la joue et elle lui offre un sourire juvénile qui fait fondre le coeur de son géniteur. Elle n'en a pas conscience sur l'instant, mais après ça, sa vie ne sera plus jamais la même.
Un matin de plus où elle se réveille des cernes sous ses yeux d'enfant. Elle n'a pas beaucoup dormi à cause des gémissements sortant de la pièce d'à côté, toute la nuit. Lorsqu'elle se rend dans la cuisine, Chrissy retrouve des canettes de bière sur la table. Elle les jette rapidement dans la poubelle avant de se servir un bol de céréales avec du lait.
"s'lut !". Son regard se lève pour se poser sur la femme dans l'encadrement de la porte. Sa mère entre alors dans la minuscule cuisine, ouvrant le réfrigérateur devant elle. Son teint est blafard, son maquillage de la veille a coulé sur ses joues tirées et ses cheveux sont emmêlés. La fumée de la cigarette qu'elle tient entre ses doigts fait grimacer l'enfant qui termine son petit-déjeuner en silence. Voilà plus d'un an que son papa est parti, plongeant sa mère dans un état proche de la dépression. Alcool et médicaments font rarement bon ménage. Leur style de vie a considérablement baissé et sa mère semble trouver judicieux de se taper un abruti différent tous les soirs. Cartable sur le dos, l'enfant est prête à sortir du petit appartement pour se rendre à l'école.
"Eh ! T'as oublié mon bisou !". Bravant l'odeur désagréable de l'alcool et du tabac, Chrissy offre à sa mère un baiser rapide, avant de tourner les talons et de sortir de ce taudis qui lui sert de maison.
Papa,
Ça fait plus de six mois que je n'ai plus de nouvelles de toi. Tu vas bien ? Maman dit que tu nous as oublié, que dans les bras de ta nouvelle copine, tu as tiré un trait sur ta vie passée... Moi, je ne pense pas. Tu ne m'aurais pas oublié, hein papa ? Je suis ta petite princesse après tout... Quoiqu'il en soit, j'espère que tu répondras à ma lettre cette fois-ci et que tu vas bien...
Je t'aime fort.
Chrissy. Tomorrow makes it better
And the salt in my wounds isn't burning anymore than it used to It's not that I don't feel the pain, it's just I'm not afraid of hurting anymore And the blood in these veins isn't pumping any less than it ever has And that's the hope I have, the only thing I know that's keeping me alive
"Dis, tu vas venir à la fête de Luke samedi soir ?". Mains dans les poches, sac sur le dos, l'adolescente hausse ses frêles épaules.
"Oui, je pense, pourquoi ?". Son regard se pose sur sa meilleure amie, dont le sourire s'accentue.
"Cool, tu crois que tu pourras prendre les médocs de ta mère ?". Elle soupire.
"Fizzy... c'était déjà une mauvaise idée la dernière fois et puis ma mère se doute de quelque chose, j'pense pas pouvoir le faire cette fois-ci...". Vendre les antidépressifs de sa génitrice lui a rempli un peu les poches, mais elle n'est pas prête à réitérer la chose.
"Alleeeez, s'il te plait ! J'ai vu un sac super beau l'autre jour et il me manque 20$ pour l'avoir !". Pas le temps de répondre quoique ce soit qu'une silhouette s'impose aux deux adolescentes.
"Chrissy, je peux te parler deux minutes, s'il te plait ?". Monsieur Morgane, son professeur de mathématiques. Un peu déboussolée, l'adolescente lance un regard à sa meilleure amie qui se contente de hausser les épaules avant de s'éloigner un peu. M. Morgane pose son imposante main sur l'épaule de la brunette, avant de lui parler.
"Ecoute, l'école sait que ta situation familiale est un peu spéciale et tes résultats scolaires sont en forte baisse... J'en ai parlé aux autres professeurs et ils sont d'accord pour que je te donne des cours particuliers gratuitement, tous les soirs, après les cours... qu'est-ce que t'en penses ?". Son regard se plonge dans celui de l'homme face à elle, ignorant encore combien sa réponse va changer sa vie.
"Oui, d'accord...".
Les jambes tremblantes, elle ignore comment elle a fait pour rentrer chez elle. Lorsqu'elle ouvre la porte, les clefs tombent sur le sol et elle ne prend même pas la peine de les ramasser. Sa mère est là, allongée sur le canapé, les yeux fermés, la bouche grande ouverte. Des pillules traînent sur le tapis tout comme la bouteille de whisky à ses pieds. Ce soir là n'est pas un soir comme les autres. Ce soir là, elle n'éteint pas la cigarette dans la bouche de sa mère. Elle ne l'aide pas à se lever et à se laver. Ce soir là, elle ne veille pas sur cette femme qui se perd un peu plus jour après jour... Non, ce soir là, Chrissy se rend simplement dans la salle de bain. Le reflet que lui offre le miroir lui fait presque peur. C'est un fantôme qui se tient là. Son teint est incroyablement blanc, son maquillage coule le long de ses joues pouponnes. Ses yeux sont injectés de sang et ses muscles lui brûlent. Elle allume le jet de la douche et, sans prendre la peine de se déshabiller, elle entre dans la cabine. Elle se sent vide, elle a mal, elle a envie de crier, mais a l'impression d'avoir perdu sa voix.
Chrissy a quatorze ans et elle vient de perdre sa virginité.
Non, elle ne l'a pas perdu, on la lui a volé. Les intentions de monsieur Morgane n'étaient pas si bonnes que cela en vue de ses gestes déplacés. Détruite, une larme commence à couler sur sa joue, suivie de tant d'autres. Son corps glisse le long de la paroi et ses yeux se ferment. Elle veut oublier, tout oublier à tout jamais.
"T'es sûre que ça va ? T'es toute pâle !". Chrissy plisse ses lèvres, tentant de garder pour elle son mal être qui s'accentue un peu plus lorsque ses yeux se posent sur son professeur de mathématiques. Elle se souvient encore de cette soirée, qui résonne en elle comme le pire cauchemar de son existence. Elle se souvient de ses mains sur sa peau, de la violence de ses gestes ou encore de ses sanglots restés coincés dans sa gorge. Elle n'en a parlé à personne, parce que qui croirait une gamine de quatorze ans à la vie misérable et en échec scolaire face à la parole d'un professeur adoré par ses collègues et visiblement irréprochable ? Elle veut oublier, simplement oublier, mais le destin semble avoir pris une toute autre décision.
"Vous êtes enceinte...". Quoi ? Son regard s'ouvre un peu plus. Le docteur lui offre un regard qui se veut sévère. Il la prend probablement pour une gamine irresponsable... Elle l'est un peu, mais toute cette situation n'est pas de sa faute.
"La grossesse est trop avancée, vous ne pouvez plus avorter...". C'est le coup de massue. Que va-t-elle faire ? Elle a déjà du mal à manger à sa faim, alors s'occuper d'un enfant ? Le regard du médecin s'adoucit dès lors que les larmes commencent à couler sur les joues de l'enfant qui se tient devant lui. Le doute naît en lui...
Et si... ? Pourtant, elle refuse de lui avouer la vérité, mais il n'est pas bête, il comprend. Les mains liées, il finit par essuyer ses larmes.
"Ecoute, pour l'école, je peux faire un papier pour leur expliquer que tu es malade et que tu ne vas pas venir pendant de longs mois... C'est la seule chose que je peux faire pour toi...". Et finalement, ça lui suffit. De toute façon, sa mère ne la regarde plus, il pourrait lui manquer un bras qu'elle ne s'en rendrait même pas compte.
Les jours passent et son ventre s'arrondit un peu plus. Comme prévu, sa mère n'a rien remarqué. Chrissy ignore les appels de ses amis, qui ont fini par cesser... Elle sort peu, s'habille de vêtements amples et tente de faire profil bas. Son seul véritable contact est celui qu'elle entretient avec son médecin.
"T'es un garçon...", souffle-t-elle. Allongée sur son lit, son t-shirt remonté en dessous de sa poitrine, exposant son ventre. Ses mains parcourent sa peau et un petit sourire orne ses lèvres.
"Tu seras beau... j'en suis sûre... tu seras le plus beau...", continue-t-elle, comme pour vaincre cette solitude qui l'envahie un peu plus jour après jour.
"Et puis, tu seras gentil, un gentil et beau garçon... Toutes les filles seront après toi... ou les garçons... peu importe", elle lâche un léger rire en imaginant la tête que pourrait avoir son fils.
"Et tu t'appelleras Keygan... comme mon grand-père... tu sais, il était vraiment cool", lâche l'adolescente, des images de son très affectueux grand-père lui revenant en mémoire.
"Tu feras quelque chose de bien de ta vie... pas comme moi... pas comme ma mère... Toi, tu seras quelqu'un qui compte..." et c'est alors qu'elle comprend. Elle comprend que si elle veut toutes ces belles choses pour son enfant, il faut qu'elle l'éloigne d'elle. Il faut qu'il vive une vie simple, banale, qu'il ait un papa et une maman en âge de s'occuper de lui. Il faut qu'il ait de quoi manger dans son assiette chaque jour et qu'il soit fier de ses parents... Il n'y a pas d'autres solutions, elle se doit de reproduire ce qu'a pu lui faire son propre père en l'abandonnant lâchement, mais d'après elle, c'est pour le mieux...
Elle n'est pas croyante, pourtant, elle se trouve en ce lieu sacré... Comment pourrait-elle croire en la présence d'un Dieu qui veille sur les Êtres humains lorsqu'elle se sent si vide de l'intérieur. Il pleut dehors, il fait froid aussi. Ses membres tremblent, ses cheveux sont mouillés. Installée, là, sur un banc au fond de l'église, elle tente de se réchauffer.
"Mademoiselle, ça va ?". Son regard se pose sur le pasteur, qui, l'air inquiet, s'approche un peu plus de l'adolescente. Elle ne répond rien, la tête baissée alors que ses tremblements s'accentuent.
"Vous êtes frigorifiée, attendez, je vais vous apporter un ca/".
"Vous l'avez trouvé ?", le coupe-t-elle brutalement relevant son regard triste et fatigué sur cet homme qu'elle ne connait presque pas.
"Trouvé quoi ?". Il est perplexe, cette gamine va mal, tout en elle transpire la douleur.
Surement une de ces enfants droguées, se dit-il.
"Mon bébé, vous l'avez trouvé mon bébé ?". Et il comprend. Son regard s'ouvre en grand et il s'agenouille devant l'adolescente. Il n'en revient pas. C'est elle.
"C'est... c'est vous qui avez déposé le petit ? C'est vous C. ?". Une larme coule le long de sa joue, elle a froid, elle a faim, mais la seule chose qui compte est de savoir si son fils va bien. Ça fait six mois. Six mois qu'elle a accouché, six mois qu'en désespoirs de cause, elle a déposé son bébé devant l'église, en guise d'explication une simple lettre signée C. Six mois et elle ne s'en est pas remise. Ce n'est pas quelque chose qui guérira, elle le sait.
"S'il vous plait, dites moi qu'il va bien, qu'il est vivant et en bonne santé...", ses yeux le supplient, elle doit probablement avoir l'air complètement folle, là, mouillée jusqu'aux os, tremblante de froid dans une église presque déserte, mais elle s'en fiche.
"Il va bien, il est en sécurité, ne vous en faites pas pour ça...", lui dit le pasteur d'un ton doux et bienveillant. Les yeux de l'adolescente se ferment et elle souffle un bon coup. Voilà. C'est tout ce qu'elle a besoin d'entendre. Son coeur se libère d'un poids et pour la toute première fois depuis une éternité, elle sent une pincée de joie envahir son être.
You'd make your way in I'd resist you just like this
You can't be too careful anymore When all that is waiting for you Won't come any closer You've got to reach out a little more
Open your eyes like I open mine It's only the real world, life you will never know Shifting your weight to throw off the pain Well, you can ignore it, but only for so long.
"Si nous sommes réunis aujourd'hui, c'est pour pleurer la perte de Lisa...". Debout devant le cercueil, la jeune femme lance un dernier regard à sa défunte mère avant de tourner les talons. Cet enterrement est bien triste, peu de personnes ont fait le déplacement et pour cause : à force d'user de médicaments et d'alcool, Lisa a fini par s'isoler du monde.
"Chrissy, ma chérie, comment tu vas ?". Perchée sur ses hauts talons, la jeune femme toise son paternel d'un regard sévère. Ah, il est loin le temps de l'innocence où son père était son héros. Désormais, elle a les yeux bien ouverts et n'est pas prête de retomber dans ses bras.
"Bluenn, c'est Bluenn, maintenant", dit-elle d'un ton froid qui ne lui ressemble pas. C'est une adulte maintenant. Une adulte orpheline à cause d'une mère décédée et d'un père qui n'a jamais été présent.
"Oh ma petite princesse, ne fais pas ta tête de cochon !". Son souffle se coupe, sa mâchoire se serre. Son père est toujours le même, avec son sourire adorable et ses tempes grisonnantes.
"Au revoir, papa", se contente-t-elle de dire, contournant son paternel pour retourner auprès de sa voiture et partir au plus vite. Chrissy n'existe plus, comme pour tourner une page sur son passé, la jeune femme se fait désormais appeler par son second prénom, Bluenn. Pourtant lorsque son regard se pose dans le rétroviseur et qu'elle y perçoit un certain pasteur, son passé lui revient en pleine figure. Ce dernier lui offre un sourire chaleureux qu'elle retourne brièvement avant d'enclencher le moteur et de partir au plus vite.
Comme une seconde peau, le drap couvre ses courbes de manière subtile, cachant un peu sa nudité récemment dévoilée. Sa main caresse le drap de qualité avant que son corps ne se redresse, à la recherche de ses vêtements.
"Tu sais, t'es pas obligée de partir à chaque fois qu'on a terminé...". Elle ne prend même pas la peine de le regarder, alors que son corps se couvre rapidement.
"Blue, je te parle !". Elle enfile son pantalon et soupire, avant de regarder l'homme avec qui elle a passé la nuit.
"Ecoute, toi et moi, c'est que du sexe... Cherche pas à aller plus loin tu risques d'être déçu...". Pour une femme de trente-cinq ans, elle sait que sa vie ne correspond pas à ce dont tout le monde attend. Parfois, elle se dit qu'elle aimerait bien se trouver un homme, se marier et fonder une famille... mais elle s'en sent incapable. Elle qui pensait avoir oublié ses souffrances passées, voit sa vie être guidée par le souvenir de ce viol et de cet enfant laissé devant la porte d'une église, la fixant de ses grands yeux verts. Ce moment reste gravé en elle, lui brisant un peu plus le coeur à chaque fois qu'elle y repense. Si c'était à refaire, elle ignore si elle trouverait la force en elle pour réitérer son geste. Elle ne regrette pas, parce qu'elle sait qu'elle a offert un son fils un avenir meilleur... mais sa vie à elle reste dans l'ombre du souvenir de cet enfant perdu. Enfilant son chemisier, elle sent enfin une présence derrière elle et deux bras entourer sa fine taille. Malgré elle, un sourire se dessine sur ses lèvres.
"J'aime bien quand tu fais ton inaccessible... mais tu sais combien je peux être tenace...". Oh ça oui, elle le sait...