« C’est ça qui est génial dans l’univers, son côté imprévisible. »
"You took your first breath..."
"She took her last."
« […]
Ils ont été obligés de l’ouvrir. Elle saignait beaucoup. Et toi… toi, tu étais là, le cordon ombilical entouré autour de ton tout petit cou. Ils t’ont fait sortir et ont commencé un massage cardiaque. Ils ont pressé leurs mains sur ta poitrine dans ce même mouvement régulier et répétitif. Tu es revenu à la vie pendant qu’elle agonisait. Tu es venu au monde… et elle est partie. Elle est partie sans que personne ne se soit battu pour elle. »
C’est mon anniversaire aujourd’hui. J’ai dix ans. J’ai dix ans, je m’appelle Esteban et j’ai tué ma mère le jour même de ma naissance. Depuis je purge ma peine. Un peu plus tous les jours l’ardoise s’alourdit. La vérité c’est que je n’étais pas sensé vivre, alors en ce monde il n’y a pas de place pour moi. Peut-être si j’avais été promis à un bel avenir… mais ce n’est pas le cas. Je ne suis pas un petit génie, ni un grand sportif et plus tard je ne gagnerais jamais d’Oscar. Je suis juste un gamin comme tous les autres, insignifiant. J’ai dix ans et je suis convaincu d’être un assassin. Si par hasard j’ai le malheur de l’oublier, mon père est de toute façon là pour me le rappeler. Tous les ans, le jour de sa mort, je me retrouve assis sur cette chaise à cette table et sagement je dois écouter mon père me conter ce récit cauchemardesque. Toujours le même discours. Avec les mêmes mots. Et chaque fois j’ai envie de vomir. Je me déteste pour ce que j’ai fait, et il me hait lui aussi. Pourtant nous sommes obligés de cohabiter. Dans une atmosphère glaciale. Malgré tout nous sommes obligés de veiller l’un sur l’autre. C’est comme une promesse que nous avons faîtes à maman. Une promesse que nous avons bien du mal à tenir mais que nous ne romprons jamais.
"Les amis c’est comme les lunettes, ça donne l’air intelligent, mais ça se raye facilement et puis, ça fatigue. Heureusement, des fois on tombe sur des lunettes vraiment cool ! Moi, j’ai Keygan."
Dans la cour de récréation je fixe Shane d’un regard noir. Je souffle entre mes dents. Ce p’tit con va la fermer oui ? «
Tes p’tits copains sont pas là pour te sauver la mise cette fois hein Esteban ? ça t’fait tout drôle ! Tout seul tu sais pas t’défendre en fait. Tu vas aller t’plaindre à qui quand on t’aura éclaté ? A ton crétin d’père ? C’t’alcoolo qui sort jamais d’chez lui ? Ou alors t’iras pleurer sur la tombe de ta mère. » Mes poings se serrent et je souffle «
ne parles pas d’ma mère ! » Mais non, il insiste. Il continue à cracher son venin en appuyant là où ça fait mal. «
Franchement fermes la ! » Je secoue la tête et essaie de prendre sur moi mais personne ne touche à ma mère. «
J’T’INTERDIS DE PARLER D’ELLE ! » je hurle, m’apprêtant à cogner quand un gamin vient s’interposer entre nous. Je l’ai déjà vu. Il est dans ma classe. Comment il s’appelle déjà ? Key quelque chose… Keygan il me semble. Oui c’est ça. «
Arrêtez de vous acharner sur lui » je l’entends répliquer d’une voix calme. «
Shane, à toi on te parle pas de ta grande sœur qu’est en taule. On attaque pas ta famille ! Non. Alors laisses le tranquille. » Surpris, je reste muet. Quelle répartie ! Et puis c’est bien la première fois que l’on vient prendre ma défense. Enfin y’a bien Kev et Peter mais eux ce sont juste des imbéciles qui faisaient tout ce que je leur dis. Shane commence à s’agiter et je pousse Keygan avant qu’il ne prenne une droite pour sauter sur ce connard. Il ne faut pas plus de cinq minutes pour que le vacarme alerte les pions un peu plus loin. Nous avons tous fini dans le bureau du proviseur. Je vais encore être puni en rentrant chez moi…
«
Hey… Keygan c’est ça ? » je lance en rattrapant le jeune garçon qui reconnaît son prénom, au pas de course. Ensemble nous rentrons en salle de cours. «
Pourquoi t’as fais ça ? L’autre fois… Avec Shane. » Il hausse simplement les épaules. «
Il avait pas à faire ce qu’il a fait. » Certes mais il fallait du cran pour s’interposer. Et puis je fais peur à tellement de monde au collège… Tout le monde me prend pour le caïd ici. «
J’peux m’assoir à côté de toi ? » Il accepte dans un sourire. Je ne remercie pas Keygan. Je suis bien trop fier pour ça mais je crois qu’il devine combien j’apprécie son geste. Nous avons bien ri pendant l’heure de maths. Je crois que je me suis fait un ami.
"Les conneries sont là, à attendre qu’on les fasse, et si tu les fais pas c’est que t’es qu’une couille molle."
«
Stop, stop, stop ! ça va pas du tout ! » gronde la voix de James. A sa demande nous nous arrêtons brusquement. Je repose mes baguettes et pousse un profond soupir. A cette allure nous n’arriverons jamais au bout de la répet. «
C’est un véritable carnage, vous êtes pas du tout synchros les gars. Si on est aussi mauvais au concert demain la salle va se vider en moins de deux. » Monsieur veut encore jouer les chefs et se met à donner des conseils à tout le monde. «
T’exagères James » essaie de le rassurer Joanna, notre chanteuse. La jeune-femme profite de cette pause pour s’approcher de moi et entoure ses bras autour de mes épaules. Je tourne la tête pour lui donner un baiser en agrippant sa nuque sauvagement. Les autres grimacent et je souris. Joanna est toute à moi et je sais qu’ils sont jaloux. Mais je ne compte pas la laisser filer. Elle est ma première petite amie et je ne suis peut-être pas parfait avec elle, nous nous disputons souvent mais je l’aime. A dix-huit je suis comblé et j’ai littéralement l’impression de m’envoler. J’ai arrêté le lycée dès que j’en ai eu l’occasion pour faire partie d’un groupe de rock dont je suis le batteur. Nous sillonnons les routes et malgré notre succès encore incertain, nous commençons à vivre de notre musique. Je suis en plein rêve...
… Un rêve qui est bien vite devenu un cauchemar. James a pris la grosse tête aux cours des mois qui ont suivi. Il a commencé à vouloir jouer les leaders et plus personne ne supporte son caractère. Quant à ma relation avec Joanna. J’ai tout fait foiré…«
JOE ! REVIENS PUTAIN ! » Dans les coulisses, je sors en trombe des loges à la suite de ma petite amie qui s’éloigne en courant. «
J’SUIS DESOLE ! VRAIMENT DESOLE ! » Ma voix résonne et quand j’arrive enfin dehors je ne la vois plus nulle part. Elle a filé. Et merde ! Sous le coup de la frustration je donne un grand coup de pied dans la porte. Une vitre se brise mais j’en ai tout simplement rien à foutre. Seul m’importe la jeune-femme en cet instant. Je suis vraiment le roi des cons. J’ai osé… J’ai osé lever la main sur elle et la gifler pendant qu’on s’engueulait. Je ne me le pardonnerais jamais. «
J’suis désolé » je murmure à nouveau. Pour essayer de me calmer je sors un joint de dans la poche de ma veste et l’allume.
Ce n’est qu’une demi-heure plus tard que je rentre à nouveau dans le gymnase. La musique bat son plein, l’artiste dont nous assurions la première partie est maintenant sur scène. Au milieu de la foule je repère James au comptoir et m’approche de lui. Je commande une vodka et un silence s’installe entre nous. Mon ami me connaît, il a bien entendu nos cris avec Joanna, il sait qu’il ne vaut mieux pas me parler maintenant. Mon verre à la main je jette un œil tout autour de nous quand j’aperçois la jolie blonde sur la piste de danse. Avec un mec auquel elle se colle sans la moindre gêne. Elle sait pourtant comme ce genre de comportement de pétasse peut me mettre en rogne. Je les fixe attentivement, bouillonnant à l’intérieur. Quand ses lèvres frôlent celles de ce gars je n’y tiens tout simplement plus, je me rue sur lui. «
TU VEUX QUE J’T’APPRENNE A TOURNER AUTOUR DE MA NANA ENCULE ?! » je rugis en l’enchaînant d’un coup de poing, puis d'un deuxième. Aveuglé par la colère, je ne lui fais pas de cadeau et je dois même dire que je prend mon pied à lui faire du mal... Tout ça jusqu’à ce qu’un grand baraque parvienne à me maîtriser. Quand on me jette à l’extérieur mon regard croise celui satisfait de Joanna.
"Pardon, que j'parle un peu moins fort ?
Ah, on vous dérange en fait, merde...
Et ben si on t'dérange tu t'casses ou sinon tu fermes ta gueule."
Plus tard j’ai appris que Joanna n’en n’avait jamais rien eu à faire de moi et qu’elle m’avait à de nombreuses reprises trompé. Il n’était pas rare apparemment qu’elle sorte le soir et agisse avec les hommes comme elle l’avait fait sous mes yeux. Ce sont les gars du groupe qui l’ont balancée. Cette annonce a signé la fin de notre histoire entre elle et moi comme celle de notre amitié avec James et les autres. J’ai tout simplement encaissé ce mauvais coup et j’ai tourné la page. Ou du moins j’ai essayé. Car elle n’a pas vraiment voulue se tourner. Le type que j’ai agressé ce soir-là a porté plainte contre moi pour coups et blessures. Il a du faire un séjour à l’hôpital et a eu plusieurs points de suture. Mon père m’a foutu dehors suite à cette annonce. J’ai échappé de peu à la taule mais j’ai gagné une belle amende à payer. Pendant plusieurs mois j’ai dû effectuer des travaux d’intérêt généraux et j’ai gagné le droit aussi de participer à des réunions de gestion de la colère comme ils appellent ça. Des applaudissements retentissent. Pour ma part je me contente de faire semblant dans mon coin en roulant des yeux. «
Très bien, merci Ella de nous avoir fait partager ton expérience. Comme pour chacun d’entre nous, le groupe te soutiendra dans chacun de tes progrès. Maintenant voyons voir… à toi Esteban. » Je hausse les sourcils avant de secouer la tête. «
Il faut que tu participes à l’exercice. Tout le monde a joué le jeu. C’est à toi de nous raconter pourquoi tu es ici. » Mais je reste muet. Calme. Mais muet. Je ne veux pas parler de Joanna, de ce gars que j’ai fracassé, non, hors de question. «
Il est ici parce qu’on l’y a forcé. » Les yeux baissés je les relève pour découvrir qu’une jeune-femme me fixe. «
C’est écrit sur sa gueule qu’il desserrera pas les dents. » Elle me sourit. Un de ces sourires en coin qui veut dire "j’ai très bien cerné ton petit manège". Elle m’a tout de suite plu.
Lana. Elle s’appelle Lana cette jeune-femme que j’ai rencontré ce jour-là. Après le cours elle m’a abordé et elle m’a proposé de partager une Chupa Chups. Je sais pas pourquoi j’ai trouvé ça original et cool. Comme si nous étions un petit couple qui échangions notre salive. Nous sommes bien vite devenus inséparables. Lana c’est ma meilleure amie, mon âme sœur. Aujourd’hui nous nous connaissons sur le bout des doigts. Seulement voilà, Lana elle est comme moi. Elle a un gout prononcé pour la destruction et prône l’anarchie. C’est une jolie bombe à retardement Lana. Une vraie tigresse.«
Hé… tu boudes ? » Elle reste silencieuse et immobile, assise sur le canapé. «
J’te signale que c’est dans mon appart que tu squattes quand même alors tu pourrais au moins me faire la conversation. » Lana boude. Hier on avait trop bus. Pour nous amuser nous sommes rentrés dans cette épicerie pour en chourer quelques munitions. Des bières. Pas parce qu’on pouvait pas les payer. Juste parce qu’on est comme ça. Ensemble on se choute à l’adrénaline. Et à la coke aussi parfois. Mais nous ne frôlons cette impression de liberté que lorsqu’on se met en danger tous les deux. Seulement voilà, quand la cavalerie a débarqué, je lui ai lâché la main. Elle a bien failli se faire choper. Et depuis… C’est silence radio. Elle est là, mais c’est comme si elle n’était pas là en même temps. «
Tigresse » je viens murmurer à quatre pattes contre son oreille. Lana cligne des yeux. Je la sens flancher…. Doucement mais surement. Sans prévenir elle m’envoie un coup de poing dans le ventre. Putain la traîtresse. «
Tu m’as abandonnée. » Je soupire avant de me marrer. Cette tendance a tout exagérer c’est bien elle ça. Comme si j’étais réellement capable de la laisser. Par mécanisme je me protège les parties alors qu’elle frappe encore. «
Défoules-toi vas-y » je la défie du regard. «
Tu m’as manqué ma pétasse. » Ses mains s’emparent alors de mon t-shirt pour le déchirer d’un geste avant de plaquer ses lèvres contre les miennes. Je crois que c’est le moment de fermer ma gueule.
Imagine-toi : t’es là quand tout à coup tu croises un regard qui te perfore de part en part.
Imagine-toi : t’es là, ça te tombe dessus, sans crier gare,
Un truc dément, un truc qui redonne la foi.
Comme si j’étais chez moi je pose mes jambes sur le bureau de la chambre de Keygan avant de plonger ma main dans le paquet de bonbons qui traîne entre nous. «
J’ai dégoté un job » je lui annonce fièrement. Je sais que Keygan s’inquiète pour moi et qu’il trouve que je joue trop souvent au con mais j’ai pris mon indépendance maintenant. J’ai mon studio et j’arrive à être autonome. Enfin plus ou moins. «
J’suis disquaire dans une petite boutique dans le centre il faudra que tu viennes voir ça. » Avec mes dents je tire sur le réglisse que j’ai pioché et le mastique bruyamment dans un rire. «
Si t’as le droit de faire quelques ristournes je passerais » il me taquine. Malheureusement ça c’est pas dans mes cordes. J’allais le lui répliquer quand nous sommes interrompus. «
Moutmout, je vais voir un ami, je reviens dans deux ou trois he… » Une petite tête blonde apparait dans l’encadrement de la porte. «
Oups, je suis désolée… Je voulais pas interrompre. » Je souris chaleureusement comme pour lui assurer que ce n’est rien alors que je rouge lui monte aux joues. Elle est adorable. «
Je m’appelle Esteban. Tu dois être Colline, la petite sœur de Keygan. » Mon ami m’avait parlé d’elle a plusieurs reprises mais je n’avais pas encore eu l’occasion de la rencontrer. Je suis ravi de voir enfin à quoi elle ressemble. Elle est juste magnifique. J’allais engager la conversation mais Keygan est plus rapide que moi. «
Bon euh. T’avais pas rendez-vous avec un ami toi ? » Dommage. Colline s’éloigne finalement et mon sourire s’évanouit à cette perspective. Je n’aurais pu l’apercevoir qu’à peine une minute. Quand je me tourne à nouveau vers Keygan il me regarde avec une certaine méfiance. «
Ne t’avises pas d’avoir des vues sur ma sœur j’te préviens. » Au moins le message est clair.
C’est bien connu pourtant. Je n’écoute jamais ce qu’on me dit… Son visage angélique a hanté mon esprit pendant des jours. Sans que je ne comprenne comment cette petite m’a littéralement subjugué. Les semaines qui ont suivies, je ne suis jamais autant passé "par hasard" devant chez les Greenberg, juste pour la croiser. Puis il y a eu la tornade. Colline est tombée dans le coma cette nuit-là. Elle ne s’est réveillée qu’après un mois d’attente. Trente longs jours durant lesquels je suis passé lui rendre visite tous les jours. Quand sa main a rendu ma pression sur la sienne un matin et qu’elle a ouvert les yeux, mon cœur s’est emballé comme jamais. Et j’ai su. J’ai su que j’étais en train de tomber amoureux.Sur la musique on va on vient
On s'éloigne et on revient
Puis tu t'élances et je te tiens
Je te retiens du bout des doigts
Pour te ramener contre moi
De profil, j’observe mon reflet dans le miroir puis soupire. Lana passe derrière moi, s’arrête en m’apercevant et éclate de rire. «
Putain ! Mais où est-ce que t’as dégoté cette chemise ? Elle ne te ressemble tellement pas. On dirait un jeune aristo qui s’apprête à faire sa demande en mariage. » Je fronce les sourcils. «
Pitié dis-moi que tu ne vas pas demander Colline en mariage ! » «
Bien sûr que non ! Dis pas de conneries » je réponds du tac au tac. Ça m’énerve qu’elle se moque comme ça. Mais la jeune-femme ne se prive pas. Heureusement c’est juste pour me taquiner. Cela fait plusieurs mois que Colline et moi sommes ensemble maintenant, pourtant Keygan n’a toujours pas accepté notre relation. Lana, si. Et elle est au courant de tout. Du moment que je suis toujours là pour elle et que je ne reste pas trop sage quand je suis avec elle elle accepte l’idée qu’une femme puisse me rendre heureux malgré une certaine jalousie. Nous ne couchons plus ensemble Lana et moi mais il est vrai par contre que je serais incapable de me passer de sa présence. Il est hors de question pour moi de m’éloigner aussi de Colline. Nous sommes tellement différents tous les deux mais je succombe totalement à son innocence, sa fraicheur et son sourire. Elle est celle qui réveille mon âme d’enfant, celle qui fait battre mon cœur. Je l’aime et j’aime la personne que je suis en train de devenir grâce à elle. J’espère seulement que je ne ferais pas tout foirer encore une fois. Comme par le passé.