Cet enfant est un démon. Cette femme a mis au monde un tyran, un futur sociopathe. Voilà ce que disaient les voisins en voyant passer la terreur. Luka. Il n’apparaissait angélique qu’aux yeux de sa mère. Sa jeune mère qui avait été violée par un soldat serbe et qui avait conservé le bébé en pensant qu’elle se reconstruirait à son contact. Enchainant les dépressions, elle se détruisait toujours plus, et le petit garçon grandissait au gré de l’eau, comme bon lui semblait. Sans cadre, il fit bien vite des idioties. Son passe-temps favori était de faire du mal à tout ce qui se trouvait sur son chemin : de la petite fourmi aux autres gamins en passant par les vitrines de magasins. Il vivait dans la rue, il fréquentait les mauvaises personnes, mais au moins à l’école on lui avait appris à lire. Il était loin d’être bête d’ailleurs, et puis sa mère, non-contente de devoir toujours se justifier sur l’éducation de son fils et ne supportant pas le voir dehors sans arrêt, lui fit commencer des cours de violoncelle. Au départ, il était la terreur des cours, indiscipliné au possible, mais il trouva un petit camarade qui l’apaisa : Stefan. Ensemble, ils apprirent le violoncelle d’une façon certes peu orthodoxe, mais tellement plus appréciable que le solfège. Cela dit en passant, les jeunes hommes le maitrisent parfaitement depuis. A l’école, on ne lui donnait aucun avenir. Alors on lui proposa de s’engager dans l’armée à seize ans. Il accepta.

Pourquoi lui avait-on proposé à lui de s’engager ? Toutes ses mauvaises conduites de son enfance ressurgirent. Il fut un excellent militaire quoi que très violent. On l’aurait mis au milieu de terroristes qu’il les aurait tous tués un à un. Mais il quitta les forces armées à 21 ans. Son avenir était ailleurs. Il avait rencontré quelqu’un. Une femme charmante. Sublime, même. Ses cheveux de jais, son sourire radieux, sa prestance ne l’avaient pas laissé indifférent. Nastasija. Elle avait tout pour elle. A son contact, il s’adoucissait, il devenait un autre homme. Elle parvenait à le faire sourire peu importe les circonstances. Ses mauvais actes, ils tombaient aux oubliettes quand il était avec elle. Elle ne voyait en lui qu’un homme merveilleux qu’il était loin d’être. Elle lui demanda de quitter l’horreur de la guerre avant qu’elle n’ait à l’enterrer, il accepta. Le jour où il revint pour de bon chez lui, chez eux, il la demanda en mariage. Mais elle refusa. Elle disait que c’était trop tôt. Qu’il fallait d’abord penser à leur avenir, à ce qu’il allait faire pour continuer sa vie avec elle. Il n’avait qu’une idée en tête : contacter Stefan et lui demander de former un duo, comme avant, et de percer dans la musique. Pour elle, Luka ne souhaitait qu’une chose : se ranger, faire de sa vie un conte de fées.

Le violoncelliste tenta donc l’aventure avec son acolyte de toujours. Il intégra une école de musique où Stefan et lui étaient considérés comme des extraterrestres car ils ne faisaient rien de classique. Ils réinventaient les codes de la musique. Si bien qu’ils réussirent une audition haut la main, et qu’ils commencèrent à se reproduire un peu partout dans le pays, puis dans les pays alentours, partout en Europe. Leur style était déjanté, mais réconciliait le monde avec le violoncelle, instrument méconnu. Le succès fut immédiat. Une aubaine pour Luka qui redemanda la main de Nastasija un an plus tard, et elle accepta. Avec l’argent amassé, Luka s’installa dans une bâtisse sublime en Croatie, offrant un mariage de princesse à sa femme. Ce n’était pas difficile d’être heureux en faisant les choses bien en fin de compte. Le bonheur n’est pas réservé qu’à une élite, il est offert à tous si on se donne les moyens d’y croire. D’ailleurs, il continua de frapper à leur porte. Luka et Nastasija accueillirent une petite Zora par une nuit de printemps, le 18 mai 2012. Tout était parfait. Luka n’y aurait jamais cru si on lui avait dit que sa vie ressemblerait à un rêve. Et ce rêve il le vivait éveillé. Mais le revers de la médaille n’est jamais bien loin.

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Des applaudissements dans toute la salle. Tout le monde s’était levé et en redemandait. Stefan et Luka étaient plébiscités comme chaque soir. Ce concert avait une saveur toute particulière pour eux parce qu’ils le jouaient dans la salle où tout avait commencé et qui était bien plus pleine que ce qu’elle l’était à l’époque. Luka était enchanté de voir que leur travail plaisait, et que leur musique faisait des adeptes. Et il avait hâte de retrouver sa petite famille. Les deux femmes de sa vie. La magnifique Nastasija et leur fille Zora qui s’embellissait de jour en jour et qui l’attendrissait de son sourire de bambin. Il était loin de se douter de ce qui s’était passé pendant qu’il donnait sa représentation. Une bonne heure plus tard, après avoir rangé tout le matériel et quitté sa loge, il prit le chemin de la maison, en roulant guilleret. Il chantonnait, il n’avait qu’une hâte : border sa fille et se lover contre sa femme pour la rassurer et lui permettre de rêver. Mais quand il arriva devant sa bâtisse, il fut surpris d’y trouver des voitures et des camions gyrophares allumés. Que se passait-il ? Il se gara immédiatement, angoissant comme jamais, accourant vers eux : « Monsieur Stosic ?! » L’interpela un policier qui repris sans lui laisser le temps de répondre : « Vous ne pouvez pas entrer monsieur. » Luka ne comprenait pas, et pâlissait. « Que se passe-t-il ? Comment vont ma femme et ma fille, où sont-elles ? » La réponse que lui fournit l’homme à la petite moustache avait de quoi faire frémir n’importe qui. « Elles ont été assassinées. Pouvons-nous vous poser quelques questions ? » Luka n’en croyait ni ses yeux, ni ses oreilles. Ce n’était pas possible. Ca ne pouvait pas être vrai. Il bouscula les policiers pour tenter de pénétrer chez lui, et malgré les remontrances des agents de police, il rentra dans la maison montant immédiatement dans sa chambre à coucher, où une mare de sang avait coloré les draps blancs. Il en eu la nausée, il se laissa tomber de désespoir, à genoux, impuissant. C’était vrai. Il était loin de s’imaginer les souffrances dans lesquelles Nastasija avait péri. Elle avait tenté de protéger sa fille d’hommes mal intentionnés qui n’étaient là que dans l’unique but de se venger du soldat Stosic. Son passé l’avait rattrapé, et ils avaient tailladés le corps fabuleux de la femme, réservant d’atroces châtiments au pauvre bébé devant ses yeux. On mit la main sur l’épaule de Luka qui se défit de cette emprise, les traits de son visage s’étaient durcis. Il n’était plus rien. Elles n’avaient pas mérité ça. L’inspecteur en bas le pensait fautif. Il disait que ça lui avait tout l’air d’un crime passionnel. Il fallait embarquer le bougre pour l’interroger. Peu lui importait, de toute façon ce soir, il n’avait plus d’endroit où dormir. Ce soir il était inconsolable.

On ne peut oublier le passé. Luka n’a jamais réussi à mettre un seul pied dans la maison qui était autrefois la maison de ses rêves. Il n’a plus jamais parlé de sa femme et de sa fille, il a fait le vide dans sa tête. Le cœur meurtri, il est devenu aussi froid que le marbre. La musique ? Il a tout arrêté. Il n’a pas jeté ses instruments, mais il ne s’en sert que comme objet de décoration. Il a quitté le pays qu’il aimait tant, la Slovénie, pour aller aux Etats-Unis, mais ce n’était pas de son plein gré. Stefan l’y a forcé. Il voulait qu’il se réalise, qu’il prenne un nouveau départ. Mais Luka a bien du mal à retrouver la force d’exister. Ici, on pense de lui qu’il est cet homme acariâtre et détestable qui passe sa vie à foutre des roustes à la sortie des bars. On raconte qu’il a fait de la prison, on raconte qu’il est aussi vil que le diable en personne. Il s’est toujours promis de ne jamais laisser les sentiments faibles se mêler de sa vie à nouveau. Et pourtant, il y a cette fille, Kendall qui le tire de son quotidien. Il l’aime bien, oui mais c’est impossible. Parce qu’il ne veut plus s’attacher. Et puis, la jeune femme a un caractère de feu. Le peu qu’il lui donne ne lui suffit pas, et elle n’avouera jamais vouloir plus. Mais lui que veut-il ? Il n’ose pas se l’avouer.